Préface – Edgar Morin
La complexité n’est pas une idéologie. Elle ne doit pas l’être. Le défi qu’elle représente pour la connaissance ne doit pas en rester à une pétition de principe. Elle appelle une méthode. Les principes de cette méthode ont été l’objet et l’enjeu des six tomes de La Méthode que j’ai consacrés au paradigme de la complexité, c’est-à-dire aux relations fondamentales d’association et/ou d’oppositions entre un nombre restreint de principes et de raisonnements qui fondent une façon de penser le monde hors des conceptions mutilantes et des cloisonnements réducteurs. « Unir sans confondre et distinguer sans séparer » a toujours été mon mot d’ordre, le fil rouge de mes réflexions. Cette belle expression accompagne aussi la démarche de Gérard Gigand et Jean-Pierre Bréchet.
Mais cette méthode à laquelle j’ai consacré une bonne partie de ma vie de chercheur pour en fonder les principes, il reste à se l’approprier et la faire vivre en pratique. L’ouvrage singulier de Gérard Gigand et Jean-Pierre Bréchet relève le défi avec succès, celui d’une ingénierie de la pensée exigeante que j’ai toujours appelée de mes vœux.
Le livre qu’ils nous proposent n’est nullement une simple application de La Méthode. Il est profondément original, inattendu même sur bien des développements.
Original par la méthode ternaire transdisciplinaire qu’ils qualifient de trialectique et dont les fondements m’avaient été signalés il y a quelques années par Basarab Nicolescu qui avait préfacé le premier ouvrage de Gérard Gigand qui initialisait cette réflexion (cf. mon Journal 1992-2010, p. 1036-1037).
Original par nombre de ses apports et de ses approfondissements sur des concepts au cœur du paradigme de la complexité et sur lesquels le lecteur est invité à réfléchir (incomplétude, autoréférence, indétermination, tiers inclus qui devient tiers incluant, antagonisme non symétrique…).
Original encore par le caractère authentiquement transdisciplinaire de la méthode proposée qui surprendra sans doute le lecteur et lui demandera des efforts d’assiduité. Mais l’enrichissement de nos façons de penser est à ce prix : sortir des sentiers battus des lectures cloisonnées dans la rigueur d’un raisonnement solidement étayé. La méthodologie est robuste, les arguments sont toujours proposés avec rigueur, susceptibles de discussion, jamais ésotériques malgré l’hardiesse, parfois, des saisies conceptuelles et des raisonnements qui empruntent à divers référentiels scientifiques.
Comme j’avais pu le dire dans “Science avec conscience”, la complexité ne doit pas être respectée au niveau des phénomènes, pour être escamotée au niveau du principe d’explication. C’est au niveau du principe que la complexité doit être dévoilée. C’est la pensée qui articule les logiques, s’empare des contradictions et les dépasse. C’est à ce niveau de la pensée qui se pense elle-même que la contribution de Gérard Gigand et Jean-Pierre Bréchet se situe : ils défrichent et posent une ingénierie du processus de pensée qui mérite toute notre attention.
Le partiel, le partial, le parcellaire désignent les limitations de toute connaissance en même temps qu’ils en fondent, ensemble, la possibilité. Je ne doute pas que cet ancrage tripolaire marquera l’esprit du lecteur. Il nourrit une méthode exigeante et riche d’enseignements.
Edgar Morin, le 10 décembre 2014
Quatrième de couverture :
Pour beaucoup d’observateurs, l’entreprise et le management relèvent légitimement d’une lecture complexe tant ils confrontent à des phénomènes à multiples facettes imbriquées dans les sphères économiques, écologiques et sociales. Vouloir les saisir intellectuellement sans les mutiler suppose alors une pensée à la fois de prise en compte et de dépassement des démarches analytiques ou disciplinaires. Cette pensée de la complexité engage pour les auteurs du livre une démarche d’analyse ternaire transdisciplinaire dite trialectique. La transdisciplinarité, associée à la complexité attribuée aux phénomènes observés, n’est pas un multiple de la disciplinarité. Elle s’ancre dans un processus de production de connaissance original qui la rend accessible. Ce processus transdisciplinaire d’intelligibilité des phénomènes perçus complexes, déployé par les auteurs pour aborder l’entreprise et le management, les a finalement conduits à explorer neuf thèmes causalement inséparables : perception, référentiel, réalité, relativité, humain, organisation, entreprise, management, évaluation. Une intelligence ternaire de la complexité apparaît plus que jamais nécessaire pour saisir ce qui se joue dans le monde d’organisations que nous habitons.
Auteurs :
Jean-Pierre Bréchet est professeur à l’Université de Nantes. Ses recherches portent particulièrement sur les théories de l’organisation et du management. Elles visent au développement d’une vision enrichie de l’entreprise fondée sur le projet dans une perspective anthropologique. Ses travaux le conduisent à mobiliser les ingrédients d’une pensée de la complexité, notamment à rapprocher les regards de diverses disciplines, l’économie, la sociologie et le management notamment.
Gérard Gigand est actuellement artisan dans le bâtiment, métier qu’il exerce depuis plus de 20 ans, après avoir connu diverses expériences associatives dans la sphère éducative dans plusieurs pays du monde. Autodidacte, il a engagé une réflexion qu’il considère comme vitale sur les enseignements de la physique quantique. Cette réflexion lui a permis d’obtenir un Master en Sciences de l’Education à l’Université de Tours puis l’a engagé à écrire deux ouvrages singuliers et remarqués sur la question transdisciplinaire. Il associe de plus en plus à son activité d’artisan des prestations de formation-conseil, au sein d’une petite structure, Complexitude, à partir de la méthode trialectique qu’il propose et à laquelle il continue de travailler.
En vente en librairie
Editeur : Editions Opera (Nantes)
Année : 2015
ISBN : 978-2-35370-208-4