Réflexions

L’objectivité 

Qu’est-ce que l’objectivité ? Existe-t-elle puisque même les événements ponctuels impliquant l’apparente impartialité de la vue, sont perçu différemment par chacun.

Le mot « objectivité » existe, donc il est utile qu’il existe ! Nous ne pourrions nous en passer au quotidien. Le problème survient quand on conçoit l’objectivité comme absolue, c’est-à-dire non soumise à un contexte. A ce moment là, elle est une parfaite extériorité pour  nous donc une totale inconnue. D’où les contradictions entre témoins d’une même scène.

S’il n’y a d’objectivité que contextuelle et donc locale, comment être rigoureux et précis dans la conduite d’un grand ensemble comme celui de la vie ? Nul ne peut répondre définitivement à cette question mais on peut avancer une proposition. Voici la mienne :

Puisque l’objectivité de nos perceptions est soumise à la subjectivité personnelle du choix du contexte, tâchons de cerner cette subjectivité avec précision. Elle est subjective car elle s’inscrit dans la limite de nos capacités. Tout se passe alors comme si cette limite était constituée de trois éléments qui se « renvoient » constamment la balle : la perception est partielle, partiale et parcellaire. Partielle car elle est dans l’incomplétude provoquée par un point aveugle qui interdit la perception simultanée de tous les angles d’un objet ou d’une situation ; partiale car elle est dans l’autoréférence filtrant toute perception à travers notre propre et seule personne et parcellaire car elle est dans l’indétermination jusqu’à ce que notre attention qui ne peut se porter sur tout à la fois, exerce une sélection focalisatrice et un choix d’attribution de propriétés à l’objet. Le français, au fil des siècles, nous offre là une expression ternaire de la perception qui rend compte de la contextualisation subjective de l’objectivité.

En physique quantique, les mesures sont soumises à l’incertitude mais les calculs probabilistes sont, eux, très précis. De même, à partir d’une interaction soigneusement codifiée entre ces trois pôles de la perception, émergent des pistes dont aucune n’est la vérité à elle seule mais dont le jeu mutuel et antagoniste affine la pertinence des questions susceptibles d’éclairer notre quotidien.

Ces interactions codifiées sont l’objet du livre « Se cultiver en complexité »….

La circulation

Si le sang ne circule pas il ne maintient pas l’organisme en vie. Si la bourse n’entretient pas un flux permanent des valeurs elle bloque l’économie mondiale. Si un chauffage central ne fait pas circuler l’eau de son système, il n’y     a pas d’échange entre la chaleur renouvelée par la chaudière et la température plus basse des pièces qu’il traverse. Si nous refusons les transitions, c’est-à-dire l’échange, l’immobilité qui en résulte nous fait perdre toute autonomie. L’absence de centre du monde, l’absence d’objectivité absolue, l’absence de certitude, bref l’absence de permanence induit le mouvement en toute chose puisque la finitude implique qu’il y a toujours une « case » à combler et que cette action ne peut se faire qu’au détriment d’une autre case provisoirement ponctionnée et ainsi de suite. La transition est connexe de la vie. Pourtant elle ne peut être un phénomène hors de tout arbitrage humain puisque nous parlons toujours depuis et par l’observateur humain. De plus la transition joue sous l’étroite surveillance d’autres phénomènes sévères tels que la révolution, le vieillissement, la décadence. La transition est une relation entre le déséquilibre et l’inertie. JBF écrit dans un livre que le politique est régi par trois cultures qu’il appelle l’utopie, la résistance et la régulation. Ce sont trois concepts qui valent dans beaucoup de situations. C’est dans la circulation à travers ces trois cultures que le corps s’alimente, en l’occurrence, le corps social. L’utopie génère une énergie de changement, la résistance tempère cette énergie sous forme d’inertie et la régulation rend viable ce qui serait un combat meurtrier comme l’histoire nous en a montré, entre la volonté de changement et le conservatisme eux-mêmes ferments d’écartèlements à l’intérieur de soi-même.

L’organisation de cette circulation, c’est-à-dire cette transition permanente est l’expression même de la complexité et l’approche ternaire – utopie, résistance, régulation en est l’outil majeur. L’approche binaire n’induit que des allers et retour. C’est suffisant dans un certain nombre de cas mais non viable dans d’autres.

Le repérage d’un ternaire, c’est-à-dire de trois éléments constitutifs d’une situation, autrement dit trois éléments en relation antagoniste, assure le passage d’une vision fixiste à la capacité à entretenir une invariance dans la distance que nous maintenons entre les phénomènes contradictoires dont le quotidien foisonne.

L’éclairage sur cette circulation ternaire fait l’objet du livre « Se cultiver en complexité »…

La relation entre le binaire et le ternaire

L’approche binaire occidentale achève d’envahir le monde économique. Selon cette approche aristotélicienne, il « tombe » sous le sens qu’une chose est objectivement cette chose (principe d’identité), qu’on ne peut pas affirmer comme vraies, deux propositions simultanément contradictoires, (principe de non contradiction) et enfin que si deux propositions sont contradictoires, l’une est vraie et l’autre fausse, (principe du tiers exclu).

Et pourtant, chacun sent bien que ces propriétés font parties de notre réalité mais ne l’épuisent pas. Si l’on me dit que je suis un homme inintelligent, cet avis me décrit-il objectivement ? (Principe d’identité). Sommes-nous incohérent d’être l’ami d’une personne quand celle-ci a aussi des ennemis ? (Principe de non contradiction). Si mon ennemi m’est insupportable, est-il tout ce que je ne suis pas et rien de ce que je suis ? (Principe du tiers exclu).

Comme le poison, le binaire fait merveille dans un niveau de réalité donné, quand il est nocif dans un autre. Le problème n’est pas le binaire mais l’approche simplificatrice consistant à comprendre les événements selon un seul niveau de réalité provoquant l’exclusion de constituants jugés à priori incompatibles et des oppositions mutuellement annihilantes. C’est le cas des situations dont certains registres requièrent un niveau d’approche complexe. Or il est binaire de dire que telle situation est élémentaire et telle autre est complexe. Toute chose peut nécessiter selon les besoins, des niveaux de perception différents et toute chose peut être analysée à différents niveaux au point qu’on ne peut plus dire que ceci est plus complexe que cela en soi alors que c’est nous-même qui décidons du ou des niveaux requis, d’analyse. Comment évaluer correctement les niveaux d’analyse requis ? L’enjeu est là et il est grand puisqu’un niveau d’analyse unique et linéaire conduit à un enfermement tel qu’on se justifie à dire : je serai toujours idiot ; je serai toujours intelligent. Je suis aimé ; je suis détesté. Il y a ce monstre et je n’ai rien de commun avec lui.

Le dépassement de l’approche binaire introduit la complexité et nécessite une approche ternaire dont le principe repose sur le tiers, mais cette fois-ci, le tiers « inclus ». Puisque l’on ne peut se passer du binaire mais qu’en même temps, le binaire est insuffisant, on fera jouer trois binaires ensemble. Un exemple connue de tous est la relation entre les trois termes de la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. Ici, l’approche binaire est impossible. Les oppositions symétriques mutuellement excluantes rend difficile, comme en témoigne l’histoire, la relation entre liberté et fraternité, égalité et fraternité. Quant à la fraternité et l’égalité, celle-ci n’apparaît pas induire celle-là. Le jeu de ces trois couples transcendés par un tiers inclus capable de les englober dans les trois cas fournit à partir de ces trois tiers inclus une perception ajustée de ces trois relations à la fois antagonistes et mutuellement dépendantes.

Cette approche qui n’est pas nouvelle séduit souvent mais elle repousse tout autant à cause de la peur qu’elle suscite que nous perdions les outils binaires de la rigueur sans trouver ceux du ternaire livré alors à toutes les charlatanismes.

Le livre « Se cultiver en complexité »… propose dans les sujets les plus concrets qui soient, un processus graphique pour mener à bien ce difficile exercice où l’on comprend que ces trois relations binaires antagonistes sont les fournisseurs d’énergie d’une trinité existentielle.

L’indépendance contextuelle

L’indépendance contextuelle recherche la bonne distance par rapport à la situation en jeu. De quoi s’agit-il ? Prenons un exemple : il m’arrive un très grand malheur. Il y a alors une forte probabilité que l’objet de ce malheur m’envahisse au point de m’obnubiler et que je ne pense plus qu’à cette situation. La tentation est alors de ressentir qu’il n’y a plus place pour autre chose et que ce malheur se superpose à l’entièreté de ma vie. Il me faut alors recouvrer de l’espace vital pour « relativiser » comme l’on dit. Si je suis complètement dépendant du contexte immédiat, cette prise de distance est impossible. Les grandes découvertes scientifiques sont advenues de cette manière. Einstein a trouvé une indépendance contextuelle par rapport à Newton en englobant le concept de gravité dans celui d’accélération, permettant de rendre compte de phénomène spatiaux jusque là inexpliqués même par Newton dans le seul cadre de la gravité exercée par une masse voisine.

On peut alors dire ceci : l’indépendance contextuelle n’est pas l’émancipation de tout contexte dans un universalisme qui nous effacerait mais le choix du niveau contextuel approprié. Il y aura toujours un contexte mais il en est qui ne permettent pas l’accès à assez d’informations pour faire sens d’un phénomène. Il en est d’autres qui sont trop englobant et ne permettent pas l’élaboration de référentiels suffisamment locaux pour être opérationnels. Plus justement qu’indépendance contextuelle, il faut parler de choix de niveau d’indépendance contextuelle. C’est l’inverse de la pensée unique. La perception des critères toujours changeants de ce choix est difficile et se travaille. Toute stratégie en dépend. La capacité de choix du niveau d’indépendance contextuelle est un aspect de la complexité dans l’approche des situations.

La conceptualisation est l’outil mental dont nous disposons dans ce sens car l’englobement dont Einstein a fait preuve s’exprime par des concepts. On peut cracher sa haine à son ennemi mais on peut aussi méditer le concept de haine qu’on lui applique si fortement. Le destinataire  de cette haine n’est pas loin mais c’est déjà une prise d’indépendance contextuelle. Loin de toute philosophie éthérée c’est en méditant le concept de la dignité humaine que Gandhi a conduit son pays à l’indépendance. En effet, le concept d’indépendance strictement parlant était dans le principe de non contradiction d’Aristote, c’est-à-dire qu’un Anglais colonisateur n’est pas un Indien colonisé. Le concept de la dignité humaine permettait une approche « tiers-inclusive », englobant Anglais et Indiens et traitant de la colonisation comme nocive pour les deux partis.

L’art de la conceptualisation est traité prioritairement dans le livre : « Se cultiver en complexité »…

L’orientation et le jeu

Réfléchissant ces dernières années aux forces principales qui nous meuvent j’en arrive finalement à deux principales : la recherche de l’orientation et le jeu.

J’observe qu’il n’y a guère de comportement ou d’activité humaine qui ne soit la résultante de ces deux impulsions premières et dernières dans notre vie. Les choses sont encore plus claires quand on prend une des « dérivées » principales de l’orientation, à savoir l’évaluation. C’est au point que rien de ce que j’entends, vois, ressent, apprend ou espère n’est autre qu’une évaluation. Le système scolaire n’est qu’un miroir de cela. Le sacro-saint football en est une formidable vulgarisation mondiale. C’est si visible également dans les domaines mental, intellectuel, spirituel, bref identitaire. Nous passons notre temps à nous orienter le mieux possible vers un soleil existentiel et pour ce faire, nous évaluons sans cesse.

Le jeu lui, trahit une crainte profonde : celle de s’ennuyer. Je disais à un ami au parcours effroyable qu’après manger à sa faim, c’est sans doute le divertissement qui primait pour les habitants de la terre. Il m’a corrigé en disant : « non, c’est le divertissement qui passe avant ». Un slogan remarqué sur les murs de mai 68 fut : « les gens s’emmerdent ! ». L’un de nos fils nous a avoué qu’une des craintes qui l’avaient habité pendant sa petite enfance était celle d’un épuisement des réserves mondiales de rire à force de dire des blagues ! Ce que peut ressentir un enfant est stupéfiant mais pas ridicule dans le cours de nos propos !

On me dit l’amour est au-dessus du jeu. Je n’en suis pas sûr tant l’amour est flou dans son acception fourre-tout et le jeu si fondamental dans son registre non seulement ludique mais mécanique : pour que les pièces jouent entre elles il faut qu’elles soient dans la tolérance de l’usinage qui permette la solidarité dans un mouvement relatif. Ne sommes-nous pas là dans une métaphore de l’amour ?

Mais quel est le référentiel selon lequel s’orienter et comment concilier le travail et le jeu ludique ? La démarche binaire est en allers et retours. On va jouer et l’on revient travailler. De même on tâche de trouver un axe d’orientation définitif et l’on s’y accroche le plus longtemps possible en lançant au visage des événements, un bloc idéologique.

Ma proposition ici est de passer des repères fixes à des repères dynamiques, de construire sur des questions plutôt que de s’asseoir sur des réponses. L’idée de fixité objective n’a aucune réalité puisque tout est mouvement. Je suggère que tout est mouvement non pas à cause de l’environnement mais parce que c’est moi qui « ne tiens pas en place ». Cette attribution erronée de l’origine extérieure du mouvement dissimule la nécessité d’approche complexe de notre relation à notre environnement. En effet à partir de là, les repères de l’orientation sont paradoxalement en nous et non autour de nous. Dans ce « jeu d’orientation », il y a à tout moment une contradiction entre nos limites et nos possibilités mais contradiction également au second degré en ce sens que nos possibilités sont induites par nos limites. Puzzle apparemment redoutable. L’approche ternaire nous permet de sortir des allers et retour. Ce tiers inclus d’un troisième pôle ouvre le jeu toujours incomplet et donc sans fin dans les rebonds successifs entre les trois limites qui nous sont signifiées par la perception  partielle, partiale et parcellaire. L’orientation cesse alors d’être un axe pour devenir une posture de stabilité dynamique, une distance invariante à l’environnement et toujours recalculée, c’est-à-dire évaluée entre une proximité étouffante et une distance de dépérissement. Bref le juste jeu.

Les caractéristiques de ce jeu d’orientation sont approfondies dans le livre :
« Se cultiver en complexité »